Nancy Greene (CAN) et Jean-Claude Killy (FRA) à Grenoble lors des Jeux olympiques d'hiver de 1968. Photo offerte gracieusement par Nancy Greene Raine.

Nancy Greene Raine

Légende olympique

Affiliated Discipline(s): Coupe du monde FIS, Championnats du monde de ski FIS
Achievements: Gagnante de la Coupe du monde FIS, athlète féminine canadienne du siècle, Ordre du Canada 1968
Date of Birth / Death: 1943
Hometown: Ottawa, Rossland, Whistler, Sun Peaks (actuellement)
Active Career Period: 1959–1968
Induction CSHF: 1992
Induction Category: Alpin : descente, slalom géant, bâtisseur

Une skieuse surnommée « Tiger »

L’article suivant, incluant une interview exclusive de Nancy Greene Raine, fait partie du Canadian Ski History Writers Project (CSHWP), en partenariat avec la Chawkers Foundation et l’International Ski History Association.

Dernière course. Et la jeune skieuse qu’on appelle Tiger, Nancy Greene Raine, a parfaitement conscience de l’importance de l’enjeu. Considérée par plusieurs comme exclue de la course à la première Coupe du monde après n’avoir marqué aucun point pendant près de deux mois, la jeune femme de 23 ans a connu une ascension impressionnante au cours des dernières semaines. Cela a débuté par une troisième place à Franconia, suivie d’une victoire éclatante à Vail, puis d’une domination en slalom géant à Jackson Hole. Soudain, sa principale rivale est à nouveau à sa portée. Mais la Française Marielle Goitschel demeure la grande favorite. La seule façon pour Tiger d’être couronnée championne du monde de 1967 est de gagner le slalom. On joue le tout pour le tout.

Qui est cette Canadienne qui ose défier le mastodonte du ski français de la fin des années 1960? Et comment a-t-elle réussi à se hisser au sommet du classement de la Coupe du monde? 

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La carrière de Nancy Greene en images

Déception à Portillo

Bien que le parcours de Nancy Greene ait réellement commencé dans la ville montagneuse isolée de Rossland, en Colombie-Britannique, il suffit de se remémorer le Championnat du monde de ski alpin de 1966 à Portillo, au Chili, pour saisir son exceptionnelle volonté de réussite.

« Je me suis rendue en Amérique du Sud avec de très grandes ambitions », commence-t-elle. « Je m’attendais sincèrement à monter sur le podium là-bas. » Cela se comprend. À 16 ans, Greene, nouvelle venue dans l’équipe canadienne, avait vu sa mentor et colocataire, Anne Heggtveit, remporter l’or aux Jeux olympiques de 1960 à Squaw Valley. Et cela avait grandement inspiré l’adolescente. Six ans plus tard, la coureuse expérimentée croyait qu’elle aussi pouvait faire honneur à son pays. Mais était-ce vraiment possible? « J’étais trop nerveuse dans le slalom et je n’ai pas très bien fait », dit-elle. « Mais l’épreuve de descente approchait et je savais que j’étais rapide. »

Hélas, la descente s’est avérée encore plus désastreuse. « Je me souviens de mon entraîneur me disant calmement dans le portillon de départ : « Gagne-la! Gagne-la pour moi, Nancy. » Elle soupire. « Je suppose que ça m’a un peu trop stimulée. Vers le bas du parcours, il y avait un gros rouleau au-dessus d’un tunnel routier. À l’entraînement, j’avais toujours vérifié le vent avant de le franchir. Mais le jour de la course, j’ai décidé de l’aborder directement. » Mauvaise décision. « J’ai chuté et culbuté en plein dans un mur de soutènement en glace. Je savais que je menais une bonne course. Je pouvais même voir la ligne d’arrivée… C’était si frustrant. »

Vient alors sa spécialité, le slalom géant. Mal en point après sa chute en descente (et skiant avec une fracture du coccyx non diagnostiquée), Greene frôle le podium avec une quatrième place. Mais Tiger ne rentre pas du Chili les mains vides. Greene Raine raconte : « Rossignol venait de concevoir un nouveau ski en fibre de verre, appelé le Strato, et ils souhaitaient que j’en fasse l’essai. J’en ai donc testé une paire à La Parva avant le Championnat du monde. Et j’ai adoré mon expérience avec ces skis. Mais j’ai décidé que ce n’était pas une bonne idée de changer de skis juste avant un événement aussi important; je les ai donc cachés sous une énorme pile de sacs de ski, pour ne pas être tentée. »

Grandes ambitions

Nancy est rentrée au pays avec ses nouveaux skis, le regard tourné vers un avenir victorieux. « Mon entraîneur, un ancien skieur du nom de Verne Anderson, vivait également à Rossland », raconte-t-elle. « Nous avons commencé à nous entraîner avec un vétéran qui avait été préparateur physique dans l’armée. Il ne connaissait rien au ski, mais la musculation n’avait aucun secret pour lui. »

Greene disposait d’une autre arme secrète. L’équipe canadienne était désormais domiciliée à l’Université Notre Dame, à Nelson, en Colombie-Britannique. « C’était tellement pratique d’avoir un endroit où vivre, travailler et étudier tous ensemble », dit-elle. Elle sourit. « Et puis, s’entraîner avec l’équipe masculine impliquait qu’il y avait toujours quelqu’un à poursuivre. »

Les choses évoluaient également bien sur la neige. Et plus elle skiait avec ses nouveaux skis Rossignol, plus Nancy constatait à quel point ils convenaient à son style. « C’étaient des skis de slalom géant de 207 cm, et ils m’ont vraiment préparée pour la saison. À l’époque, on croyait que les skis en fibre de verre étaient formidables sur la neige dure, mais qu’il fallait des skis en métal pour être rapide sur la neige plus molle. » Elle s’arrête et rit. « Eh bien, j’avais tellement confiance en ces Stratos que lorsque je suis partie pour les premières courses européennes de la saison 1967, j’ai laissé mes skis en métal à la maison. »

Greene a continué à bien skier, mais pas au même rythme effréné. À Schruns, en Autriche, elle a obtenu la troisième place en slalom et la quatrième en descente. Malgré le fait qu’elles comblaient leur retard, les Françaises étaient toujours à la traîne dans la course au classement général.

Les Canadiens ayant des courses prévues en Amérique du Nord, il était temps pour eux de rentrer au pays. Greene allait-elle être obligée de les suivre? « À l’époque, il n’était pas courant de laisser les athlètes derrière pour qu’ils participent seuls à la compétition », explique Greene Raine. « Mais à la dernière minute, nos entraîneurs ont décidé que ma coéquipière Karen Dokka et moi resterions en Europe pour une dernière épreuve. »

Et cela n’a pas été de tout repos pour elles. « Nous étions responsables de tout », dit-elle. « Nous devions même préparer et farter nos propres skis. »

« En tout cas, on s’est bien amusées. C’était très libérateur d’être laissées à nous-même comme ça. » Mais le manque de soutien de l’équipe a commencé à se faire sentir et elle n’a pas été en mesure d’inscrire de points aux deux courses suivantes à St-Gervais, en France. Toutefois, à son départ en février, ils étaient plusieurs sur le circuit à penser que Tiger commettait la plus grosse erreur de sa carrière. En manquant les dernières étapes européennes, elle laissait la porte grande ouverte à ses rivales pour marquer des points.

Le système de pointage de la Coupe du monde était complexe cette année-là : seuls les trois meilleurs résultats dans chaque discipline comptaient pour le total de l’athlète dans sa course au titre. « Mais mon père, l’ingénieur, avait fait le calcul, » dit-elle. « Il était persuadé qu’il y avait encore suffisamment de courses au printemps pour que je puisse combler le déficit de points. »

Nancy le croyait aussi. « Je savais que je devais commencer en force dans les premières courses en mars dans le New Hampshire. Et si j’y parvenais, eh bien… » Bien qu’elle n’ait pas récolté la victoire dont elle avait besoin, Tiger s’est tout de même hissée sur le podium du slalom géant à Franconia. Mais c’est au slalom du lendemain que la grande révélation s’est produite.

« L’équipe canadienne utilisait des bottes en plastique depuis le printemps précédent », se souvient-elle. « L’un de nos entraîneurs, Dave Jacobs, avait forgé une relation étroite avec Bob Lange et l’équipe masculine canadienne testait donc ses bottes depuis un certain temps. Pour ma part, mes pieds étaient si petits qu’il a fallu beaucoup de temps à Lange pour fabriquer une botte à ma taille. Mais en mars 1967, elles étaient enfin prêtes, et j’ai reçu ma première paire juste avant le slalom de Franconia. » Elle s’arrête. « Je me souviens avoir skié avec ces bottes cet après-midi-là. Je ne sentais rien. Je me suis dit : ‘Je ne peux pas skier avec ça. C’est bien trop rigide.’ »

Ça n’a pas été le coup de foudre. « J’étais complètement éparpillée lors de ma première descente… je skiais vraiment mal. Mais je suis devenue à l’aise lors de la deuxième descente et j’ai vraiment bien skié. Je ne l’ai malheureusement pas terminée – j’ai perdu le contrôle vers le bas du parcours. Mais je savais ce que je pouvais accomplir dans ces bottes avec un peu de pratique. » Elle ne l’a jamais regretté. Au slalom géant à Vail, Greene était de nouveau en pleine forme, remportant la manche par plus d’une demi-seconde. Il ne restait plus que la finale de la Coupe du monde. « Mon père était encore en train de comptabiliser les points », raconte Greene Raine. « Tout ce que tu as à faire », a-t-il dit, « c’est de gagner les deux dernières courses et le titre est à toi. »

Dernier arrêt, Jackson Hole

Pour certains athlètes, la pression serait insupportable. Mais pour Tiger, c’est un véritable moteur. Comme une flèche, Greene a lancé son week-end au Grand Teton en éliminant ses concurrents lors de l’avant-dernière course de la saison. Le lendemain, au début de la deuxième manche du slalom, Greene était à triple égalité pour la première place. Le titre au classement général était désormais à sa portée. Mais la Canadienne devait absolument remporter la compétition.

« Le traceur de parcours de la deuxième descente a proposé un choix aux coureurs », se souvient-elle. « Il y a un coude placé à mi-chemin du parcours. Le rythme va dans un sens, mais si vous bloquez vos skis à fond, vous pouvez aligner les portes en ligne droite, et sortir du coude avec beaucoup plus de vitesse. Mais c’est risqué… »

Greene observe le passage délicat pendant l’inspection et se dit : « Je n’ai rien à perdre. » Mais elle sait que cela pourrait lui coûter cher. Alors que la plupart des skieuses choisissent la voie la plus facile, la coureuse juste avant elle tente la ligne plus droite, accroche une spatule en haut du coude et fait sauter toutes les portes.

Maintenant, c’est au tour de la Canadienne de s’inquiéter. « Je suis là, dans le portillon de départ, à me dire : s’ils modifient le parcours de quelque façon que ce soit, je suis fichue. »

Pendant ce temps, le présentateur à la ligne d’arrivée attise la foule. Ce que ce dernier ignore, c’est qu’il y a aussi des haut-parleurs au départ. Greene Raine raconte : « Je suis toujours dans le portillon de départ, attendant que le parcours soit dégagé, et tout ce que j’entends, c’est le présentateur qui répète sans cesse : ‘La prochaine participante est Nancy Greene. Elle doit gagner ici, les amis, la deuxième place n’est pas une option’ ». Elle rit. « Je crois que c’est environ à la quatrième fois où il a dit « ça pourrait bien être le moment le plus important de sa vie » que quelque chose a lâché en moi. Je me suis dit : c’est ridicule. C’est le dimanche de Pâques. Regarde la vue. Quel bel endroit! » Elle s’arrête un instant.

« Je me souviendrai toujours de cet instant », dit-elle. « C’était comme une expérience transcendantale. Et ça m’a mis dans l’état d’esprit nécessaire pour effectuer cette dernière course. » Encore une pause, elle rit. « Eh bien, j’ai géré la porte comme je l’avais prévu, et j’ai atteint la ligne d’arrivée sans accroc. Je pense que j’ai battu Marielle de 0,07 seconde au temps total. » Mais c’était suffisant. Tiger venait de remporter la toute première Coupe du monde de ski de l’histoire par la plus petite des marges : quatre points (176 contre 172). Ça demeure un tour de force rarement égalé depuis. Et cela a assuré à Nancy Greene une place dans le panthéon des plus grands skieurs de tous les temps.

– Par Michel Beaudry. Photos fournies par Nancy Greene Raine et le Temple de la renommée du ski canadien et Musée. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2017 dans Skiing History.

Nancy Greene a surmonté les blessures et défié les pronostics pour remporter l'argent et l'or aux Jeux olympiques de Grenoble.

Courtesy CBC

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