“Jackrabbit” Johannsen, Collection du Temple de la renommée du ski canadien (TRSCM).

Herman « Jackrabbit » Smith-Johannsen

Le ski : un mode de vie

Affiliated Discipline(s): Ski de fond

Herman Smith-Johannsen était unique en son genre. On lui avait donné le surnom attachant de « Jackrabbit » en raison de sa capacité à se frayer un chemin en ski à travers la forêt. Nul autre n’a poussé le développement des sentiers aussi loin que lui. Depuis sa Norvège natale, où il était réputé comme un des meilleurs skieurs pour sa polyvalence, jusqu’aux États-Unis et au Canada, où il a fait rayonner le ski de fond, « Jackrabbit » a laissé une trace indélébile dans le monde du ski. Les nombreux sentiers de ski et clubs qu’il a créés, encore existants à ce jour, continuent d’inspirer des générations de skieurs de tous âges. À sa mort, âgé de 111 ans, il était déjà une légende vivante. Cette histoire décrit la personnalité unique de « Jackrabbit » à travers un récit racontant sa vie fascinante.

« Il voulait toujours savoir ce qui se trouvait de l’autre côté de la montagne. Cette force l’animait. » 

– Erik Austin, petit-fils de « Jackrabbit » Johannsen

Skier à la norvégienne

Né le 15 juin 1875, à Horten, en Norvège, Herman Smith-Johannsen était l’aîné de neuf enfants. Venant d’un pays où skier d’un village à l’autre était pratique courante, il a été initié au ski presque aussitôt qu’il pouvait marcher, dès l’âge de deux ans. Depuis, le ski est devenu pour lui un mode de vie. Il a immigré aux États-Unis à l’âge de 24 ans après avoir gradué en tant qu’ingénieur mécanique à Berlin.

Cette photo a été prise en 1885, quand « Jackrabbit » avait environ 10 ans. Il est le deuxième à partir de la gauche, assis sur la rambarde chez ses grands-parents (Amiral et Préfet de Horten – Herman Roosen Smith; Ekeli – Horten) en compagnie de ses cousins et de ses tantes. Collection du TRSCM.

« Jackrabbit » avec son épouse, Alice Robinson, et ses enfants. Lake Placid, 1925. Collection du TRSCM.

Ouvrir des sentiers vers les États-Unis

Peu après son arrivée aux États-Unis, « Jackrabbit » a été engagé par une firme de génie à Cleveland, Ohio. Son poste de vendeur de machinerie lourde pour scieries et chemins de fer l’a amené à découvrir les forêts du Nord de l’Ontario et du Témiscamingue. Ses voyages l’ont même mené jusqu’au Panama et à Cuba. Par la suite, il est retourné aux É.-U. et s’installe cette fois à Lake Placid, New York, où sa famille a pu s’épanouir et où il pouvait reconnecter avec sa véritable passion : le ski. Il a rejoint le Lake Placid Club et a commencé à ouvrir des sentiers pour promouvoir le ski de fond dans la région.

Chef « Jackrabbit », le parfait surnom

Le nom « Jackrabbit » lui a été donné en raison de sa capacité remarquable à se déplacer rapidement en skis dans la forêt dense et la neige profonde. Au cours de ses voyages dans le Nord de l’Ontario en tant qu’ingénieur, il s’est lié d’amitié avec des membres de la Première Nation crie qui utilisaient des raquettes pour se déplacer sur la neige, en particulier pour la trappe. Il leur a fait connaître les skis et ils l’ont nommé Okamacum Wapoos, ou Chef « Jackrabbit ». Il s’est beaucoup attaché à ce peuple avec qui il partageait l’amour de la vie dans la brousse. Il a même appris leur langue et pouvait dire le bénédicité en crie.

Gros plan de M. Johannsen probablement pris lors de la compétition annuelle de saut à ski à côté du dernier chalet des Red Birds à Saint-Sauveur. « Jackrabbit » était un des juges. Vers 1953-1954. Collection du TRSCM.

« La première fois que je suis arrivé dans ce pays, les Indiens* utilisaient des raquettes, alors que moi, j’avais des skis. Ils n’avaient jamais vu quelque chose d’aussi bizarre. Je voyageais avec les trappeurs en suivant leurs collets (…). Finalement, quelques-uns d’entre eux les ont essayés. Vingt ans plus tard, je suis retourné et ils avaient tous des skis. » 

– « Jackrabbit » Johannsen (Sources: S. Staff, The Old Man and the Ski)

* Veuillez noter que cette citation ne reflète pas la terminologie que le TRSCM aurait utilisée pour désigner les membres des Premières Nations.

Survivre à la Grande Dépression

Bien que « Jackrabbit » ait atteint des sommets de réussite dans sa vie, il a toutefois souffert d’importantes pertes financières lors de la Grande Dépression. Avant la crise économique, il avait quitté Lake Placid pour emménager à Montréal en 1928 où il a dirigé sa firme de génie conseil qui a éventuellement fait faillite. Il a par la suite ouvert une petite entreprise de fabrication, en partenariat avec son fils Bob, afin de soutenir financièrement sa famille. Ils produisaient le fart à ski « Jackrabbit ». Leur « usine » était située dans la véranda arrière de l’appartement familial à Montréal. Malgré sa petite taille, l’entreprise a tout de même su positionner la marque de « Jackrabbit » dans le marché.

Un paquet de fart à ski « Jackrabbit » pour la neige sèche. Collection du TRSCM

« Jackrabbit » Johannsen, Saint-Sauveur, 1935. Collection du TRSCM.

« Ingénieur du ski », une nouvelle vocation dans les Laurentides

L’accumulation d’importantes pertes financières a encouragé « Jackrabbit » à reconnecter profondément avec ce qui le passionne le plus : le ski. Alors dans la cinquantaine, il découvre son talent d’entrepreneur et se réinvente en tant « qu’ingénieur du ski ». Sa nouvelle profession l’a mené à concevoir le saut à ski du Seigniory Club à Montebello en 1930. Il est devenu célèbre et a été invité à de nombreuses compétitions, telles que les troisième Jeux olympiques d’hiver de Lake Placid en 1932. Plus important encore, il a défriché plusieurs nouveaux sentiers de ski de fond pour relier les villages des Laurentides entre eux. C’était sa nouvelle vocation, sa nouvelle mission.

« J’étais surpris d’apprendre qu’on n’a pas besoin de beaucoup d’argent pour être heureux et confortable si on quitte la ville et qu’on part explorer la nature, aussi sauvage que possible. »

« Jackrabbit » Johannsen (Sources: Brind, NFB film. 15:23)

Le dernier défricheur

Au fil des ans, « Jackrabbit » a défriché et entretenu des centaines de kilomètres de sentiers à travers les Laurentides, y compris le fameux sentier de la Maple Leaf. Il a relié les petits gîtes et les auberges le long du sentier en développant essentiellement un réseau régional complet de ski. Après avoir acquis une telle notoriété au sein de l’industrie, il est devenu une référence et un consultant reconnu en matière de ski pour les acteurs du développement et de l’immobilier.

« Jackrabbit » Johannsen dans un camp forestier au Lac Renaud en 1937. Il est entouré de ses outils qu’il utilisait pour défricher les sentiers. Image tirée de la page 81 dans « Jackrabbit, ses 100 premières années ».

« Jackrabbit » Johannsen au sommet du Mont Tremblant avec son chien Nick en 1935. Courtoisie des Archives de l’Université McGill, boîte 6, dossier 222.

 « Je ne peux pas m’attribuer le mérite d’être le premier homme à introduire le ski en Amérique. Je ne suis même pas le premier Norvégien! (…) J’étais parmi ceux qui ont introduit le ski pour le plaisir, sans aucun doute. Cependant, je ne peux pas m’attribuer le mérite pour toute l’industrie. »

– « Jackrabbit » Johannsen (Sources: S. Staff, The Old Man and the Ski)

Connecter les gens et les villages

Une des occupations que « Jackrabbit » appréciait le plus était de réunir plusieurs personnes de différents horizons avec des opinions divergentes afin de collaborer sur des projets. Par exemple, les fermiers locaux lui ont accordé le droit d’ouvrir certaines sections de la Maple Leaf sur leur propriété, ce qui a permis de tracer un sentier plus direct. De la même façon, il a réuni les gérants d’hôtels et les promoteurs immobiliers lorsqu’il s’est rendu compte que leur collaboration pouvait leur être mutuellement bénéfique en travaillant vers un objectif commun.

Foule de skieurs avec « Jackrabbit », Station Val-David. Collection du TRSCM.

« Il a eu un impact énorme sur le développement du ski dans les Laurentides. Il était un skieur passionné, il a organisé des événements, il a défriché des sentiers et les gens ont suivi. Son sens de l’aventure et son enthousiasme pour le ski ont motivé les gens à sortir dehors et à renouer avec la nature. »

– Erik Austin, petit-fils de « Jackrabbit » Johannsen.

 

Prêcher par l’exemple

« Jackrabbit » était un champion de la forme physique et des activités de plein air bien avant que cela devienne à la mode. Son mode de vie sain et son amour pour la nature étaient contagieux. Pionnier dans toutes les disciplines du ski, il a fait office d’organisateur, d’instructeur, d’entraîneur et d’officiel. Son sens de l’humour et sa bonne humeur ont marqué les gens qui ont croisé son chemin au cours de sa vie.

« Jackrabbit » et les membres du Red Birds Ski Club en 1930. Collection du Musée du ski des Laurentides.

« Jackrabbit » au Mont-Habitant en 1955. Collection du Musée du ski des Laurentides.

Le développement du ski alpin

Les Laurentides sont devenues la destination de ski numéro un avec l’émergence et l’essor de l’industrie du ski alpin. Pour « Jackrabbit », le développement du ski alpin pour le profit et les innovations, telles que le télésiège, allaient à l’encontre des principes de pureté et de simplicité qu’il prônait tant par le ski de fond. Heureusement pour lui, son sport a connu un retour en force vers la fin des années 1960.

« Il n’y a plus personne qui gravit de montagne en ski. Ils remontent en télésiège. Même chose avec le ski de fond. Ces skis étroits et minuscules, eh bien on ne peut skier nulle part à moins que quelqu’un n’ait déjà tracé le sentier pour soi! Plus personne ne sait comment naviguer dans la brousse! »

– « Jackrabbit » Johannsen (Source: S. Staff, The Old Man and the Ski)

Le héros du ski de fond

Lors du Centenaire du Canada en 1967, « Jackrabbit » a contribué à remettre l’accent sur le ski de fond. Le Marathon canadien de ski a été créé dans le but de célébrer le Centenaire et « Jackrabbit » est devenu un véritable héros de ce sport. Le parcours s’étendait de Lachute (Québec) à Ottawa (Ontario) pour une distance totale d’environ 190 kilomètres. « Jackrabbit » Johannsen était accompagné de plusieurs membres de sa famille et a complété certaines sections du marathon à l’âge incroyable de 92 ans.

« Jackrabbit » (à gauche) serrant la main avec le fondeur Peter St. John lors du Marathon canadien de ski de 1984, au Canal Rideau, Ottawa, ON. Collection du TRSCM.

Quatre générations ont participé au Marathon canadien de ski. Karin Austin (à droite), son fils âgé de neuf mois, Michael O’Gorman, son grand-père « Jackrabbit » et sa mère Peggy. Le Droit numérique.

Une éternelle inspiration

Au cours de sa longue vie et carrière, « Jackrabbit » a inspiré des passionnés de ski de tous âges à suivre ses traces. Il a appris à des milliers de personnes à apprécier les sports d’hiver et a transmis l’amour inconditionnel de la nature et du ski de fond à ses enfants, puis à ses petits-enfants. Encore aujourd’hui, les amateurs de plein air profitent des sentiers patrimoniaux qu’il a défrichés. Ses valeurs et son héritage sont protégés par la communauté du ski. Les clubs de ski « Jackrabbit » initient des milliers de jeunes au sport qu’il pratiquait comme un mode de vie.

Il s’est vu décerner l’Ordre du Canada en 1972 et a été intronisé au Temple de la renommée des sports canadiens en 1982.

Une légende de 111 ans

« Jackrabbit » était déjà une légende de son vivant alors qu’il dépassait des concurrents de la moitié de son âge. Un mode de vie sain et des exercices physiques quotidiens ont fort probablement contribué à sa longévité, mais pour lui, c’était simplement l’heureux produit de sa passion. Herman « Jackrabbit » Smith-Johannsen s’est éteint des suites d’une pneumonie à l’âge de 111 ans en Norvège, son pays d’origine. Il a été sur ses skis de l’âge de deux ans jusqu’à 106 ans.

« Jackrabbit » à sa demeure de Piedmont, QC, à l’occasion de son 110e anniversaire. Collection du TRSCM.

Photograph of “Jackrabbit” and his daughter Alice Johannsen (to his right) at the 1984 Canadian Ski Marathon
« Jackrabbit » et sa fille Alice Johannsen (à sa droite) au Marathon canadien de ski de 1984, Ottawa, ON. Collection du TRSCM.

Watch a short film that recounts the life of Herman Smith-Johannsen

Source: NFB, William Brind, 1975, 28 min.

Pour en savoir plus

Herman Smith-Johannsen, un pionnier du ski de fond, Les Remarquables oubliés , 22 avril 2015, avec Serge Bouchard (animateur) et Rachel Verdon (réalisatrice).

Herman “Jackrabbit” Smith-Johannsen (1875-1987), par Matthew Farfan, Patrimoine des Laurentides Cybermagazine

The Legendary “Jackrabbit”  Johannsen by Alice Johannsen, 1993 par McGill-Queen’s University Press, 312 p

“The Old Man and the Ski”, par Si Staff, Sports Illustrated, 10 décembre, 1979.

Contribuez