Le club de ski Red Birds de McGill

Quelques faits marquants à propos du plus ancien club de descente en Amérique du Nord

Name: W. Bill Thompson, Herman “Jackrabbit” Johannsen Smith, Harry Pangman, Stirling Maxwell, Colonel Bovey, Major Forbes, et plusieurs autres
Affiliated Discipline(s): Ski alpin, Ski nordique

L’histoire du ski canadien est peuplée de pionniers et de visionnaires, d’influenceurs et de leaders, de héros et de vedettes. Mais peu nombreux sont ceux qui peuvent se mesurer aux membres du Red Birds Ski Club. Fondé il y a près d’un siècle par un trio d’étudiants de McGill qui se sont liés d’amitié grâce au ski et à la course, le club Red Birds a influencé, orienté et façonné pratiquement toutes les facettes du ski canadien, et surtout du ski de compétition. Nous vous présentons ici quelques-unes de leurs histoires.

Article rédigé par Dave Fonda, pour le Temple de la renommée du ski canadien et Musée.

Comment Montréal est devenue un pôle majeur du ski

En 1879, un Norvégien téméraire du nom de M. A. Birch parcourt à skis l’éreintante randonnée de 274 kilomètres qui relie Montréal à Québec. Dix ans plus tard, des professeurs de l’Université McGill chaussent leurs skis « twintip » de style finlandais pour remonter l’avenue des Pins et redescendre jusqu’à la rue Sherbrooke. Cette activité nocturne pique la curiosité de nombreux résidents du quartier huppé du Square Mile à Montréal. Depuis ce temps, la ville est une véritable plaque tournante du ski.

Le premier club de ski en Amérique du Nord est fondé à Montréal en 1904. Les membres du Montreal Ski Club se rendent ensuite dans les Laurentides afin de faire découvrir le ski aux habitants de la région. Ils y implantent même la première maison de ski en installant leur quartier général dans la pension de famille de Mme Marshall à Shawbridge. Au cours de la décennie suivante, le ski devient un sport interuniversitaire au même titre que la boxe, l’athlétisme et la crosse. En 1904, le McGill Ski Club est fondé avec comme objectif de rivaliser avec le puissant Dartmouth pour la domination dans l’Est.

Avec la popularité croissante du ski, de nombreuses installations de ski voient le jour à Montréal et dans les environs. En 1920, le Montreal Ski Club inaugure le célèbre tremplin Côte-des-Neiges. Sept ans plus tard, les clubs de ski de Montréal et de McGill se disputent l’utilisation du tremplin. C’est ainsi que nait un nouveau club de ski, encore plus accompli, illustre et pérenne.

Jackrabbit Smith-Johanssen (à droite). Collection TRSCM 2022.

La plaque de porte du Red Birds Ski Club (en haut). Bill Thompson, intronisation au Temple de la renommée des sports de McGill. Collection TRSCM 2022.

La naissance des Red Birds

En 1928, W. Bill Thompson, un étudiant en génie chimique de McGill âgé de 22 ans, est le meilleur skieur de fond du Canada. Alors qu’il participe aux deuxièmes Jeux olympiques d’hiver à Saint-Moritz, en Suisse, il conclut que les Canadiens ont beaucoup à apprendre sur le ski et son équipement. On compte alors environ 4 000 skieurs en Amérique du Nord. Les loisirs hivernaux les plus populaires sont le patin, le hockey, la raquette et la luge. On considère encore le ski comme une activité européenne exotique réservée aux « jeunes casse-cou, aux immigrants scandinaves nostalgiques » et, bien sûr, aux étudiants universitaires fortunés. Thompson recrute donc ses camarades de McGill, Harry Pangman et Stirling Maxwell, ainsi que leurs mentors, le colonel Bovey et le major Forbes. Ensemble, ils fondent le McGill Red Birds Ski Club avec trois objectifs en tête :

  1. Promouvoir le ski sous toutes ses formes : saut, ski de fond, descente et slalom;
  2. Encourager le développement de ces sports en participant à l’entraînement des équipes de ski de l’Université McGill; 
  3. Fournir et entretenir des installations et de l’hébergement dans les Laurentides, région relativement accessible où on pratiquait déjà le ski à l’époque.

Toutefois, le véritable objectif du groupe est d’entretenir l’amitié qui les unit par le biais de leur amour commun du ski et de la compétition.

« Le Red Birds Ski Club est plus qu’un club, c’est un mode de vie. » – Herman « Jackrabbit » Smith-Johannsen

Les Red Birds prennent leur envol

Le quintette adopte le nom de Red Birds en l’honneur des mythiques oiseaux rouges apodes qui ornent le drapeau de McGill déployé au-dessus du campus du centre-ville de Montréal. Puis, une autre tradition est instaurée : désormais, les membres seront désignés selon l’ordre dans lequel ils se sont joints au club. Ainsi, Thompson était Red Bird 1, Pangman RB 2, et Maxwell RB 3.

À l’automne 1928, les Red Birds installent leur quartier général d’hiver dans une maison louée à Saint-Sauveur. En novembre, ils tiennent leur première réunion dans le Student Union Hall de McGill. Pour adhérer à leur club, les membres doivent payer des frais initiaux de 5 $ et une cotisation régulière de 10 $. (Les membres du McGill Winter Outing Club sont admis gratuitement.) En retour, le Red Birds Ski Club entraîne ses membres et les prépare en vue des prochaines courses intercollégiales sur invitation de slalom et de descente.

Le drapeau du Red Birds Ski Club. Collection TRSCM 2022.

McGill Red Bird George Jost was the first winner of the Quebec Kandahar Cup race. CSHFM Collection.

Les origines du ski de compétition canadien

Les séances d’entraînement sur neige du club ont lieu sur la « grande pente » de Saint-Sauveur, qui devient rapidement marquée par les sitzmarks ou les encoches laissées dans la neige par les skieurs lorsqu’ils tombent à la renverse en essayant de faire des virages, d’atterrir ou simplement freiner. C’est ici, en dévalant la grande pente, que le légendaire George Jost perfectionne son fameux « Red Bird crouch » (accroupissement du Red Bird).

En 1928, le Red Bird honoraire, Jackrabbit Smith-Johanssen, trace le premier parcours des championnats de slalom du Dominion sur la grande pente voisine de Shawbridge. Amoureux de la nature, il utilise des rochers et des clôtures comme portes et des branches d’épinette comme balises. Selon Johanssen, « Cela permet de créer un véritable slalom et non un ballet dans un sillon fixe autour des drapeaux. »

« La course de brousse à son meilleur »

Exaspérés de toujours perdre contre le Dartmouth College, les Red Birds en concluent qu’ils ont besoin d’une plus grosse pente d’entraînement sur un terrain plus exigeant. Jackrabbit connaît l’endroit idéal. Le mont Tremblant était aussi grand, aussi long et aussi escarpé que tous les domaines sur lesquels il avait skié au sud de la frontière. Il se trouve également en zone fortement enneigée. En 1930, Jackrabbit et un petit contingent de Red Birds gravissent à ski la « montagne qui tremble » pour en évaluer le potentiel. Ils en redescendent « fort impressionnés ».

L’année suivante, Jackrabbit organise la première course de ski alpin du mont Tremblant. Il s’agit d’une descente périlleuse sur une pente essentiellement non déblayée qui laisse au moins un malheureux concurrent suspendu tête en bas à un arbre. Pour paraphraser Jackrabbit, c’était une course de brousse à la canadienne à son meilleur.

[L to R]: Harry Pangman, Neil S., Jackrabbit Johannsen, Sterling Maxwell at Mont Tremblant, QC, on April 14, 1930
[De gauche à droite] : Harry Pangman, Neil S., Jackrabbit Johannsen, Sterling Maxwell au Mont-Tremblant, QC, le 14 avril 1930. Collection du TRSCM.
Red Birds Ski Club Pin
Épinglette du Red Birds Ski Club. Collection du TRSCM.

Le logo des Red Birds

En 1930, les Red Birds disposent d’un club en plein essor, d’un club-house, de membres actifs, d’une nouvelle piste de course et d’objectifs bien définis. Il ne leur manque plus qu’un emblème, ou dans le jargon d’aujourd’hui, un logo. La conception de cet emblème est confiée au cofondateur du club et architecte, Stirling Maxwell, et à Mlle Betty Kemp, qui deviendra bientôt son épouse. Leur dessin distinctif, qui représente un oiseau rouge très stylisé, ornera bientôt d’innombrables pins, écussons, tricots, vestes, tuques, tasses, etc.

La course de la Coupe Québec Kandahar

En 1932, le célèbre Kandahar Club de Mürren, en Suisse, fait don à l’Association canadienne de ski amateur d’un splendide trophée en argent qui doit être remis au gagnant de la première course de ski Québec Kandahar (ou combiné slalom et descente).

Comme les Red Birds de McGill sont les seuls à disposer de la montagne, de la main-d’œuvre et des compétences nécessaires pour accueillir 21 concurrents de cinq clubs de ski différents, ils se voient confier la tâche. Depuis, les Red Birds sont responsables de l’organisation de la plus importante course de ski alpin au Canada.

Le vainqueur de cette première édition est l’incomparable George Jost des Red Birds.

George Jost, gagnant de la Coupe Québec Kandahar, 1932. Collection TRSCM 2022.

Collection TRSCM.

Les Red Birds popularisent le ski par remontée mécanique

Toujours en 1932, un ancien sauteur à ski de McGill, Alex Foster, révolutionne le monde du ski. À l’aide d’un coupé Reo d’occasion, d’une bonne longueur de corde robuste et d’une série de supports et de poulies, Foster construit le premier remonte-pente au monde. Le « Foster’s Folly », comme on l’appelait, part du pied de la grande pente de Shawbridge, monte jusqu’au sommet pour ensuite redescendre. Il en coûte aux skieurs cinq cents par trajet, ou un dollar pour une journée entière. Le ski avec service de remontée mécanique connaît un tel succès que les Red Birds le popularisent instantanément. Le ski ne sera plus jamais pareil.

Les Red Birds contribuent au lancement des trains de ski

Un autre type de transport allait bientôt voir le jour, encore une fois grâce aux Red Birds. Alors que les trains de neige ou de ski sont déjà implantés aux États-Unis, ce n’est que lorsque RB McTaggart suggère aux chemins de fer canadiens de modifier leurs horaires et d’équiper leurs wagons de porte-skis que les déplacements en train dans les Laurentides se matérialisent enfin.

En 1939, les trains de ski transportent 40 000 passagers payants par année, dont la plupart se déplacent en hiver. Les wagons du Petit Train du Nord, autrefois étincelants de propreté, empestent maintenant la cire que les skieurs utilisent pour préparer leurs semelles de bois. Pendant ce temps, à l’extérieur, les cloches des églises de villages sonnent tout au long du trajet, tandis que des hordes de fermiers canadiens français, tirant des traîneaux alourdis de peaux de bison, attendent d’emmener les skieurs impatients vers leurs auberges et leurs gîtes respectifs. Du jour au lendemain, une multitude de centres de ski apparaissent dans les Laurentides québécoises, autrefois paisibles, qui deviennent la Mecque du ski en Amérique du Nord.

La commodité des remonte-pentes et des trains à ski attire immédiatement l’attention de milliers de nouveaux skieurs, ainsi que celle de riches investisseurs comme le baron américain de la bière, Fred Pabst, et le producteur forestier, Joseph Bondurant Ryan. Grâce à eux, Saint-Sauveur et Mont-Tremblant, respectivement, resteront à jamais une destination de choix pour tous les skieurs. Tout ça, on le doit aux Red Birds, un club hors du commun.

Inside ski train, 1926

Le Petit Train du Nord, 1936. Collection du TRSCM.

Trophées exposés au Red Birds Ski Club. La Coupe Québec Kandahar [à gauche] et la Coupe Ryan [au centre]. Collection TRSCM 2022.

La Coupe Québec Kandahar des Red Birds de McGill

La Coupe Québec Kandahar est remise pour la première fois à l’Association canadienne de ski amateur en 1931. En 1936, cinq ans après la tenue de la première course annuelle Québec Kandahar au mont Tremblant, la coupe montrée ici est offerte au McGill Red Birds Ski Club.

Cette coupe, faite d’argent massif, est une création du Londonien Henry George Murphy. En excluant la base en ébène, elle mesure 40 cm de haut et pèse un peu moins d’un kilogramme. Le socle porte des plaques individuelles en argent où on peut lire le nom des gagnants, l’année de leur victoire et le club qu’ils représentent. La première plaque porte l’inscription suivante : 1932 / George Jost / RBSC.

Depuis lors, les Red Birds décernent la coupe QK chaque année, sauf pendant la Guerre (1943-45) et pendant une triste époque, du milieu des années 80 au début des années 90, où la direction du mont Tremblant a perdu tout intérêt pour l’organisation de courses. En 1992, les Red Birds unissent leurs forces à celles du Club de Ski de Mont-Tremblant et font revivre les courses de la Coupe Québec Kandahar.

De nos jours, au lieu d’une coupe, les gagnants masculins reçoivent une épinglette de la Coupe Québec Kandahar des Red Birds. Les femmes, quant à elles, reçoivent toujours la fameuse Coupe Ryan.

George Jost remporte la 2e Coupe Kandahar

En 1933, un groupe de Red Birds se rend à Mürren, en Suisse, pour montrer aux Européens les progrès réalisés par les Canadiens en ski depuis les Jeux olympiques de 1928. Grâce aux habiletés de grimpe surhumaines du cofondateur Harry Pangman et à la témérité de George Jost en descente, le McGill Red Birds Ski Club réussit l’impossible. Ils battent les meilleurs skieurs d’Europe dans l’épreuve principale et remportent le prestigieux Akademische, le championnat universitaire d’Europe.

Quelques jours plus tard, George Jost déjoue une nouvelle fois tous les pronostics en battant les meilleurs du monde et en remportant la célèbre course de descente des Roberts de Kandahar. Fidèles à eux-mêmes, les Européens incrédules protestent que le fameux « Red Bird crouch » de George n’est en réalité que du « toboggan », une technique précédemment interdite. Mais cette interdiction ne figure pas au règlement nouvellement rédigé. C’est ainsi que George Jost remporte la deuxième coupe Kandahar des Red Birds; un trophée fait d’argent pour une victoire en or.

L’équipe de ski des Red Birds de McGill de 1932 était composée de Harry Pangman, George Jost, Frederick Taylor, Stirling Maxwell, Jack Houghton (capitaine), Frank Campbell, Walter Dorken, Peter Renold et Bill Ball.

Les Red Birds brisent les liens avec McGill

Le 4 février 1947, « il a été convenu que le Red Birds Ski Club serait désormais indépendant du McGill Ski Club (MSC) et d’aucune façon… sous la gouverne de McGill ». Malgré la séparation, les deux parties conviennent que les Red Birds continueront à entraîner le MSC. Les Red Birds insistent ensuite pour désigner « un entraîneur à temps plein qui serait sous leur direction et qui profiterait de leur expérience, de leur expertise et de leurs forces organisationnelles ».

Depuis la fondation du club en 1928, les Red Birds ont joué un rôle clé dans la promotion de pratiquement tous les aspects du ski de compétition et du ski dans les Laurentides et, indirectement, dans le reste du Québec et du Canada. Leurs maisons de ski, situées d’abord à Saint-Sauveur, puis à Mont-Tremblant, étaient des centres animés qui regorgeaient de skieurs passionnés, toujours prêts à prêcher la bonne nouvelle.

L’angle mort des Red Birds

Malgré toutes leurs réalisations, qui sont aussi nombreuses que prodigieuses, les Red Birds ont aussi été particulièrement négligents en ce qui concerne les femmes. Dès le début, il s’agissait d’un « boys club » dont l’adhésion était strictement réservée aux hommes. Un point c’est tout. Certes, les femmes ont été invitées pour la première fois à participer à la Coupe Québec Kandahar en 1939 et ont obtenu leur propre trophée, la prestigieuse Coupe Ryan, en 1963. Mais peu importe leur statut social, leur niveau d’éducation ou leurs réseaux, peu importe la qualité de leur ski, de leur course, de leur entraînement ou de leur formation, aucune femme n’a été autorisée à entrer dans ce clan strictement masculin jusqu’en 2017. Incroyable, mais vrai.

[see the complete list of previous winners of both the Quebec Kandahar and Peter Ryan Cups].

Roni Remme, gagnante de la Coupe Peter Ryan en 2014. Photo reproduite avec l’aimable autorisation d’Alpine Canada Alpin.

Pour en savoir plus sur la Coupe Québec Kandahar, lisez Les histoires derrière la plus grande course de ski du Canada.

*A special thanks to Phil Gribbin for photos displayed in this story from the Red Birds Ski Club.

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